Footgate: Mehdi Bayat sort du silence et apporte son soutien à son frère, "Ce n'est pas l'affaire Mogi"
- Publié le 17-11-2018 à 07h10
- Mis à jour le 17-11-2018 à 08h42
Le footgate, les matches truqués, les agents, les dirigeants corrompus : Mehdi Bayat se livre pour la première fois sur les dossiers chauds qui ébranlent notre football.
Depuis quelques semaines, il se fait discret. Mis à part l’un ou l’autre passage en zone mixte, après des rencontres de Charleroi, pour évoquer les résultats du Sporting et soutenir son frère, Mogi, publiquement, Mehdi Bayat n’a pas été très bavard depuis que le footgate a éclaté. Mais pour La DH, il a accepté d’enfiler son costume de dirigeant de l’Union belge et de se livrer, pour la première fois, sur le scandale qui ébranle notre football, lors d’un long entretien.
Mehdi, en ce moment, il ne faut pas le cacher : l’image du foot en Belgique est désastreuse…
"Je ne vais pas faire semblant que ce fameux footgate n’existe pas. Ce ne serait pas correct. Mais j’ai l’impression que le jugement ne va que dans un sens. Je pense sincèrement que tout ne va pas si mal dans le football belge. Mais cela ne veut pas dire non plus que tout va bien. En termes d’image, la période est très compliquée. Mais il faut faire la part des choses, être neutre et être juste. Il y a aujourd’hui, beaucoup d’éléments qui me laissent penser que le football est bien géré en Belgique. Aujourd’hui, on occupe la première place du ranking Fifa. Nos clubs sont classés huitièmes au ranking UEFA et les pays qui nous précèdent ont des puissances économiques bien supérieures aux nôtres. C’est le résultat d’un vrai travail de fond qui a été effectué. Ce travail a été bien fait et il faut continuer à le faire."
Cela n’a pas empêché Peter Bossaert, le nouveau CEO de l’URBSFA, de dire qu’à part les Diables, l’Union belge était devenue ingérable.
"Pour lui en avoir parlé, il n’a jamais dit ça. Ces phrases ont été sorties du contexte. Peter est, et je me mouille, la bonne personne au bon moment, comme Gérard Linard qui a assaini les finances ces dernières années. Mais il faut qu’on les soutienne. L’URBSFA, c’est comme la Belgique. Elle a ses beautés, ses failles et ses difficultés. On doit essayer de faire fonctionner tout ce petit monde ensemble. C’est comme en politique. Quand on veut faire bouger les choses, c’est compliqué et il y a du travail à mettre en place. Oui, il y a des failles, il y a des erreurs, c’est certain. Mais on doit essayer de les corriger de manière unie. Car il faut être conscient de l’importance du football dans notre système de fonctionnement. Il draine plus de 500 000 membres de la base amateur jusqu’au monde professionnel. On doit travailler ensemble, main dans la main, tout en gardant son indépendance et en ayant un maximum de transparence."
Tout l’inverse du volet qui a le plus choqué dans le footgate : celui des arbitres corrompus.
"Précisons d’abord une chose extrêmement importante : la présomption d’innocence existe pour tout le monde. Si par contre, il est avéré que ces arbitres sont condamnés, je serais très triste en tant que dirigeant car il n’y a rien de plus grave pour la beauté et la magie de notre sport. Mais encore une fois, il faut aller voir le positif dans cette expérience. S’il est prouvé que la ligne rouge a été franchie, je pense qu’aucun arbitre, même dans ses pires cauchemars, n’aura plus le courage d’imaginer truquer un match… Il n’osera pas. Parfois, il y a besoin d’un électrochoc pour remettre les choses au clair. Et désormais, il faut soutenir et aider les arbitres. Car ce n’est pas parce que certains sont reconnus coupables un jour que tous les autres le sont. Des erreurs d’arbitrage, il y en a tous les jours. Et si on doit partir du principe que les dés sont pipés avant de commencer un match, c’est la pire chose qu’il puisse exister. C’est à nous d’essayer de faire en sorte que les tentations n’existent plus."
Et les agents, dont votre frère, Mogi Bayat. Sont-ils trop payés ?
"Ce que je n’ai vraiment pas aimé, dans tout ce dossier, c’est qu’on ne parle que d’argent. J’ai l’impression qu’on a conditionné le public à ne pas aimer les agents car ils gagnent de l’argent. Le foot est le foot. C’est un monde dans lequel il y a beaucoup d’argent. Et la Belgique ne représente qu’une goutte d’eau dans ce qu’il représente au niveau planétaire. On a mis en avant le côté éthique par rapport à l’argent gagné par les agents."
Il ne faut donc pas plafonner leurs commissions ?
"Évidemment qu’il faut réglementer. Et essayer d’apporter un maximum de transparence. Mais pas pour le public. Pour la profession ! Je ne vois pas quel est l’intérêt d’aller balancer des montants aux yeux du grand public. Évidemment que celui qui gagne 1 500 ou 1 600 euros net par mois et qui va voir un agent gagner des milliers voire des millions d’euros sur une transaction voire plus, il va se poser des questions. Ces chiffres donnent le tournis. Mais il faut tout repositionner."
Comment ?
"L’arrêt Bosman a créé une situation de marché pour les joueurs. Les clubs ont la possibilité d’acheter et de vendre les contrats de leurs joueurs. À partir de ce moment-là, les joueurs ont décidé de se faire représenter par des intermédiaires, qui ont eu de plus en plus d’importance. Est-ce qu’il faut se voiler la face et dire que ça n’existe pas ? Non. Mais de la même manière que dans un marché de l’immobilier, quand quelqu’un décide de vendre son appartement, si une agence lui propose de le vendre 100 000 euros en prenant 3 % de commission ou 160 000 euros avec 10 % de commission, il prendra la deuxième option. Il y a un moment donné, il faut être conscient que cette réalité existe aussi dans le monde du football."
Donc on parle bien d’argent…
"Les clubs de football, aujourd’hui, sont des sociétés commerciales à but lucratif mais elles ont en même temps une responsabilité sociale. Et quand un club peut se garantir des rentrées financières plus importantes en travaillant avec tel ou tel agent, cela s’appelle simplement le monde des affaires. Et à partir du moment où la loi est respectée et que le cheminement se passe de manière transparente, je ne vois pas en quoi ça peut être répréhensible. N’exagérons donc pas dans le mauvais sens pour justement créer des envies de frauder ou de contourner des règles. Non, il suffit d’être transparent. D’ailleurs, notre Commission des Licences a un énorme droit de regard et fonctionne très bien. C’est un organe exceptionnel. Peu de pays européens sont autant contrôlés que nous, en Belgique. Elle est très contraignante pour les clubs et elle nous garantit qu’économiquement, le football belge est sain."
Cela veut dire qu’il est impossible qu’un agent, comme Zahavi, soit actionnaire d’un club, comme Mouscron ?
"Cette histoire est très complexe et je n’ai pas suffisamment d’éléments pour pouvoir répondre. Ce n’est pas ma responsabilité mais je pense que Mouscron, qui n’a pas eu sa licence en première instance, l’a ensuite reçue devant la Cour belge d’arbitrage pour le sport. Donc cela veut dire qu’entre-temps, ils ont fait en sorte de respecter les règles. Comment ? Je ne sais pas. Mais si la licence a été délivrée, ce n’est pas pour rien. Le règlement est clair. Et jusqu’à preuve du contraire, ils l’ont respecté. Puisque des personnes mieux qualifiées que moi ont jugé que c’était le cas."
En tant que dirigeant, cela vous fait quoi de voir d’autres dirigeants de clubs interpellés ?
"Encore une fois, il faut d’abord rappeler le principe de présomption d’innocence. Une enquête est en cours, cela veut dire qu’il y a des doutes. Mais comme partout, il y a des bons et des moins bons. Des gentils et des méchants. Est-ce qu’il est possible qu’il y ait des dirigeants qui ne soient pas corrects ? Évidemment. Mais ce n’est pas à moi de porter un jugement sur des confrères ou des collègues sans avoir les éléments pour me positionner."
"Le footgate n'est pas l'affaire Mogi"
Mehdi Bayat apporte un soutien quotidien et sans limites à son frère et à sa famille
Cela fait exactement 39 jours que Mogi Bayat est derrière les barreaux. Et pour la famille Bayat, le temps est très long. "Moi qui suis habitué à gérer des crises quasiment quotidiennes, je vis une des expériences les plus dures de ma vie, admet Mehdi Bayat. Pour ma famille, la situation est difficilement supportable. Mais dans la vie, il faut parfois vivre des moments très durs pour relativiser. Et en ce moment, je relativise beaucoup."
Même si sa responsabilité de petit frère n’a jamais été aussi grande. "J’essaie de soutenir mon frère du mieux possible, en étant présent souvent à ses côtés. Comme chacun le ferait dans pareille situation, en étant au chevet de l’être aimé. La détention préventive, on sait quand on rentre, mais pas quand on sort. C’est ça le plus dur pour la famille. Car on est dans l’expectative quasiment quotidienne."
Comme il l’est depuis le jour où Mogi a été interpellé. "Comme tout le microcosme du football belge, j’ai été étonné. Je me suis dit : mais qu’est-ce qu’il se passe ? Surtout lorsque le nom de Mogi est sorti en premier dans la presse. On a assisté à vingt interpellations, mais Mogi était le meilleur client et c’est un peu devenu l’affaire Bayat au lieu du footgate. Mogi a été victime de sa grande gueule et l’a payé au prix fort."
Depuis lors, Mehdi, le petit frère, fait tout pour sa famille. "J’aide du mieux que je peux et par tous les moyens qui sont à ma disposition ma belle-sœur et ma famille. Je suis à leur disposition. Même si forcément, mes journées commencent plus tôt et se terminent plus tard. On me dit que je suis plus cerné, plus fatigué. Mais je ne suis pas le seul : je vois la même chose dans le regard de tous les gens que je croise lorsque je vais voir Mogi."
S’il soutient son frère, Mehdi en reçoit aussi, du soutien. "Je reçois énormément de coups de fil, de la part de personnes du monde du foot. Cela me fait plaisir. Car si Mogi a une image exubérante, grande gueule et hautaine pour le monde extérieur - une image qu’il s’est battie lui-même - il n’est pas comme ça en privé."
Comme les soutiens de plusieurs joueurs de D1A (Trebel, De Belder, Dewaest…) l’ont démontré. "Ces joueurs sont des humains et ont voulu montrer leur soutien à quelqu’un qu’ils apprécient, car cette personne les a soutenus quand eux avaient des problèmes. Si quelqu’un a envie de faire un geste du cœur, pourquoi ne pourrait-il pas le faire ? C’est de l’humanité, tout simplement."
Ce dont tout le monde n’a pas fait preuve ces dernières semaines. "On a vu sortir beaucoup de vices de l’être humain : la jalousie, le complexe d’infériorité. Des losers, il n’y a pas d’autres mots, en ont profité pour se mettre en avant alors que sans ça, personne n’aurait parlé d’eux. C’est triste."
Car Mogi n’est pas hors circuit. "Pour moi, il fait encore partie du monde du foot. Il a encore une structure, une société et il est encore le représentant de nombreux joueurs, précise Mehdi Bayat. Et tant qu’il n’y aura pas de décision de justice qui lui dira qu’il ne peut plus faire tout cela, je ne vois pas pourquoi il ne ferait plus partie du monde du foot."
Non, Mogi n’est pas fini. "Et tel que je le connais, il ne sera jamais fini", termine son frère.
"Surpris que je ne sois pas auditionné ? C’est de la méchanceté gratuite"
Cela en a étonné plus d’un. Lorsque le 10 octobre dernier, des perquisitions ont été menées dans une dizaine de clubs de D1A, c’était le calme plat à Charleroi. "Des personnes sont surprises que je ne sois pas auditionné", avoue l’adminisrateur-délégué carolo. "J’ai du mal à interpréter cette méchanceté gratuite. Depuis la reprise du club, en 2012, nous avons essayé de travailler pour faire grandir le club. Tout a été fait pour mettre en place un projet et le faire grandir. En toute transparence. Nos comptes sont publiés, les rapports d’audit sont là. Aujourd’hui, on a réussi à devenir un des clubs, structurellement et financièrement les plus sains de Belgique."
Grâce, en partie, au carnet d’adresse de Mogi Bayat. "C’est un agent extrêmement compétent qui nous a permis de réaliser des transferts entrants et sortants. Mais il ne possède pas la moitié du vestiaire de Charleroi, comme j’ai pu l’entendre. Je ne le répéterai jamais assez : c’est mon frère mais ses activités ont toujours été séparées des miennes. Et entre nous, c’est normal, il y a toujours eu une forme de compétition. Quand je suis devenu le patron du Sporting après avoir travaillé sous les ordres de Mogi, j’étais par exemple très, très fier."